Appel à une plus grande présence des caisses de retraite dans l’économie canadienne
Éric Desrosiers | Le DevoirLes gouvernements devraient forcer les caisses de retraite à ne pas faire seulement une fixation sur les rendements à court terme et à prêter plus attention au développement de l’économie canadienne tout entière, disent des voix issues des milieux d’affaires et des syndicats.
« Les fonds de pension représentent environ 37 % de l’épargne institutionnelle au Canada, [soit] une taille comparable à celle des banques », ont rappelé mercredi un peu moins d’une centaine de gens d’affaires et de représentants de grandes centrales syndicales dans une lettre ouverte à l’intention des ministres des Finances au Canada. Et alors qu’il leur était interdit jusque dans les années 1990 d’investir plus de 10 % de leurs avoirs à l’étranger, cette proportion s’est aujourd’hui inversée et ce n’est plus qu’environ 10 % des actifs des huit plus grandes caisses de retraite canadiennes qui ont investi dans des sociétés publiques et privées, l’immobilier ou des infrastructures au Canada.
« Cela n’a pas été fait par malveillance », a expliqué en entretien téléphonique au Devoir Daniel Brosseau, le président de la firme d’investissement Letko Brosseau et l’une des personnes à l’origine de la lettre ouverte signée entre autres par Pierre Karl Péladeau, Louis Audet, Andrew Molson, Laurent Beaudoin, Alain Bouchard et Jim Balsillie. C’est seulement que, dans un monde où l’on ne tient compte que des rendements, on ne cherchera pas à accorder trop de poids à une petite économie comme le Canada dans son portefeuille d’actifs.
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L’exemple de la Caisse
L’idée est loin d’enchanter les principales intéressées, admet Daniel Brosseau, et elles l’ont bien fait savoir aux gouvernements qui pourraient être tentés de leur serrer la vis. La ministre des Finances, Chrystia Freeland, a toutefois indiqué cet automne qu’elle voulait trouver avec les caisses de retraite un moyen d’augmenter leurs investissements au Canada. « Je crois qu’elles ont surtout peur d’un retour à des règles avec des seuils comme par le passé. Mais ce ne serait pas nécessaire », dit le financier, qui propose, par exemple, que chaque investissement à l’étranger vienne avec l’obligation de garder une certaine somme en réserve, censée équivaloir au risque financier et à la perte de retombées économiques qu’il représente.
À la Caisse de dépôt et placement du Québec, on dit fournir déjà amplement sa part en vertu de son double mandat qui consiste à chercher les meilleurs rendements possibles pour ses déposants et à aider le développement économique du Québec. Depuis 2002, son exposition à l’économie canadienne est passée de 66 à 159 milliards sur un total de 434 milliards d’actifs (37 % de l’actif), rapporte la Caisse. Au Québec seulement, sa présence s’élevait à 88 milliards (20 % de l’actif), dont 70 milliards dans 550 entreprises.
À l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques, on appuie la cause d’un plus grand investissement dans l’économie locale. Son président-directeur général, François Dauphin, note toutefois que tous les investissements ne s’équivalent pas. L’effet de levier économique n’est pas le même, par exemple, entre le simple rachat en Bourse d’actions canadiennes déjà en circulation et la participation à un premier appel public à l’épargne d’une entreprise en développement.
Ce qu’il y a de sûr, c’est que contribuer à garder le contrôle de ses propres entreprises se traduit généralement par leur meilleur développement à long terme, dit François Dauphin. « Je serais assez d’accord pour dire que la Caisse de dépôt et son double mandat sont un bon exemple à suivre. Mais on doit être honnête. Sur quoi tout le monde évalue-t-il sa performance chaque année ? Ses rendements. »
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