7 septembre 2021

Une firme d’avocats américaine dans une relation privilégiée avec Québec

Julien Arsenault | La Presse

L’État privilégie les ententes de gré à gré pour faire valoir ses intérêts commerciaux aux États-Unis. La firme d’avocats américaine Arent Fox vient d’obtenir un nouveau contrat pour prolonger sa relation d’affaires avec Québec qui s’échelonne sur deux décennies et qui lui a permis d’obtenir des dizaines de millions de dollars.

Bois d’œuvre, aluminium, acier, l’ex-C Series de Bombardier ; il s’agit de certains des dossiers qui ont été une source de discorde en raison de l’imposition de tarifs par Washington et pour lesquels le cabinet américain a représenté les intérêts de la province depuis 2001.

Le plus récent contrat, de 9,4 millions pour deux ans, a été attribué le 19 août dernier par le ministère de l’Économie et de l’Innovation, selon le Système électronique d’appel d’offres du gouvernement du Québec (SEAO). L’entente est renouvelée tous les deux ans.

Il n’a pas été possible de savoir la somme totale qui a été versée à Arent Fox en honoraires depuis 2001. Le montant atteint 35 millions selon les données du Ministère qui remontent au 1er avril 2008, a-t-on expliqué dans un courriel. Cela tient compte du plus récent contrat.

« La firme a été choisie en 2001, à la suite d’un processus de sélection compétitif auprès de plusieurs firmes d’avocats spécialisées en droit commercial américain », a expliqué dans un courriel une porte-parole du Ministère, Meghan Houle, en ajoutant que l’expertise en droit international, en politique américaine et les honoraires avaient été des critères évalués.

C’est Matthew Clark, qui compte maintenant 30 années d’expérience dans le domaine du droit commercial d’après le site web d’Arent Fox, qui pilote les dossiers québécois à Washington. La firme de plus de 450 avocats est également présente à New York, à Los Angeles, à San Francisco ainsi qu’à Boston et affirme se spécialiser dans des conseils aux entreprises, aux gouvernements et à d’autres associations.

Les détails précis entourant les tâches confiées au cabinet américain n’ont pas été précisés par Québec et Arent Fox n’a pas répondu aux questions de La Presse envoyées par courriel.

Pas contre les règles, mais…

Selon les informations du Secrétariat du Conseil du trésor, il est possible de conclure des ententes de gré à gré lorsqu’il s’agit de services juridiques.

Depuis deux décennies, le ministère de l’Économie a ainsi a estimé qu’il n’était pas pertinent de prendre le pouls du marché, par l’entremise d’un appel d’offres, afin d’évaluer son entente avec Arent Fox. Québec ne semble pas non plus avoir évalué la possibilité de changer de fournisseur pour ses services juridiques commerciaux au sud de la frontière.

« La rotation du contrat exigerait un investissement important en temps et en ressources tant de la part du gouvernement du Québec que d’un nouveau cabinet, afin que ce dernier connaisse suffisamment nos programmes […] pour défendre adéquatement nos intérêts. » (Meghan Houle, porte-parole du ministère de l’Économie)

Le mois dernier, le ministère de l’Économie avait pourtant évoqué la nécessité de « favoriser la rotation de fournisseurs dans le cas de contrats attribués de gré à gré » pour expliquer sa décision d’attribuer une entente pouvant atteindre 4,9 millions à McKinsey Canada pour des services-conseils en matière de relance économique post-pandémie.

Arent Fox semble être dans les bonnes grâces de l’État depuis deux décennies, ce qui semble indiquer qu’il ne s’agit pas d’un dossier de « partisanerie politique » étant donné que plusieurs gouvernements se sont succédé au cours de cette période, observe le président-directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), François Dauphin, au cours d’un entretien téléphonique.

Néanmoins, la « transparence et l’ouverture ne sont jamais de mauvais amis », estime-t-il.

C’est toujours bon d’aller en appel d’offres de façon occasionnelle. Je suis un peu perplexe par rapport à la situation. Sur deux décennies, il y a probablement une expertise qui s’est développée et qui rend le coût de transfert à un autre cabinet plus onéreux. Ce sont des motifs que l’on pourrait évoquer.

François Dauphin, président-directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques

Lire la suite