11 avril 2023

Un degré ahurissant de cupidité

Alexandre Sirois | La Presse

En matière de rémunération, les dirigeants des grandes entreprises se dépassent presque chaque année pour donner un nouveau sens au mot indécence.

L’année en cours est encore relativement jeune et pourtant, déjà, le mélange d’audace et d’inconscience qu’ils manifestent quant aux salaires et autres avantages offerts nous laisse bouche bée.

La plus récente nouvelle à ce sujet date d’il y a quelques jours.

Traumavertissement : ce que vous allez lire dans les lignes qui suivent est dérangeant, alors que se serrer la ceinture en raison de la hausse des prix à l’épicerie est devenu un sport national.

On a appris que les cinq plus hauts dirigeants de Loblaw, l’an dernier, ont eu droit à 32 millions de dollars en salaires et bonis. C’est une hausse annuelle de 52 %.

Notre journaliste Martin Vallières rapportait que le numéro deux de l’entreprise, Robert Sawyer, a vu son salaire de base passer de 666 667 $ à 1 million de dollars1. Et ce n’est qu’une petite partie de sa rémunération globale. Au total, il a empoché pas moins de 9,35 millions en 2022.

Vous avez bien lu : 9,35 millions pour cet ancien président et chef de la direction de Rona.

Et Galen Weston, le numéro un de l’entreprise ? Sa rémunération a bondi à 11,79 millions « après que des consultants engagés par la compagnie que sa famille contrôle eurent déterminé qu’il était sous-payé », a rapporté le Globe and Mail.

Ici aussi, vous avez bien lu.

« Sous-payé. »

Selon le Rapport annuel sur les prix alimentaires publié à la fin de l’année dernière, une famille de quatre personnes dépensera 1065 $ de plus cette année pour son panier d’épicerie qu’en 2022.

En lien avec ce phénomène, au Québec, les banques alimentaires rapportent un achalandage record.

Rien à ajouter, votre honneur.

[…]

Les dirigeants des grandes entreprises du secteur de l’alimentation et tous ceux qui ont cautionné la hausse substantielle de leur rémunération auraient tout avantage à réfléchir à la leçon de Michael Sandel.

À leur décharge, leur secteur n’est pas le seul à valoriser la cupidité excessive.

C’est généralisé.

En janvier dernier, le Centre canadien de politiques alternatives a révélé que la rémunération des 100 PDG les mieux payés des entreprises cotées à la Bourse de Toronto a grimpé de 31 % entre 2020 et 2021.

Ces dirigeants gagnent 243 fois le salaire moyen au pays.

La tendance est lourde, et l’écart continue de se creuser au fil des ans.

Même que certaines des pratiques mises en place pour tenter d’empêcher la rémunération des dirigeants de s’envoler vers la stratosphère ont souvent un effet pervers. Le vote consultatif des actionnaires sur la politique de rémunération, par exemple.

Pour un expert comme François Dauphin, président-directeur général de l’Institut sur la gouvernance, les choses changeront seulement « quand on atteindra un niveau de sensibilisation dans la société en général ».

Les pressions exercées pour une plus grande équité « entre la rémunération des dirigeants et la rémunération dans la société ou dans l’entreprise elle-même » auront alors un effet véritable.

D’ici là, les prix exorbitants d’un steak ou d’un chou-fleur vont demeurer très difficiles à avaler.

Lire la suite