13 novembre 2019

Projet de loi 40 : de sérieuses failles de gouvernance

Yvan Allaire et Michel Nadeau | Le Devoir

Selon notre perspective, celle de la saine gouvernance des institutions publiques, il nous apparait que certaines dispositions du projet de loi 40 sur la réforme scolaire devraient être modifiées pour relever la gouvernance du réseau scolaire post-réforme.

Selon l’IGOPP, une saine et efficace gouvernance s’appuie toujours sur un conseil d’administration dont les membres se qualifient comme légitimes et crédibles.

Par légitimité, on entend le sentiment largement partagé chez toutes les parties prenantes d’un organisme que leurs intérêts sont bien représentés au conseil et que, tant que faire se peut, elles ont pu participer à la nomination/l’élection des membres du conseil.

De toute évidence, l’élection au suffrage secret, démocratique et universel apporte une grande légitimité aux personnes ainsi élues. À l’expérience, cette démarche démocratique pour l’élection des commissaires d’école s’est avérée insatisfaisante, les taux de participation étant dérisoires et un grand nombre de commissaires élus par acclamation.

Des mesures pour hausser ce taux de participation furent souvent proposées mais jamais adoptées : le vote électronique, le pairage des élections scolaires avec les élections municipales, etc.

Le présent gouvernement, fidèle à une de ses promesses électorales a choisi d’abolir les commissions scolaires et donc le processus d’élection des commissaires au suffrage universel. Le projet de loi 40 propose en lieu et place un « centre des services scolaires» chapeauté par un conseil d’administration.

La composition de ce conseil et la légitimité de ses membres sont d’une haute importance pour le succès de cette réforme.

Or que propose le projet de loi 40? Le projet fait une large place aux parties prenantes que sont les parents, les enseignants et le personnel de direction. Il offre toutefois une représentation inadéquate à la partie prenante que sont les payeurs de taxes scolaires.

En effet, le conseil d’administration serait constitué de 16 membres, 8 parents d’un élève, 4 représentants de la communauté, 4 membres du personnel. En cas d’égalité des voix sur une proposition, le président du conseil aurait un vote prépondérant.

Les 8 parents et 4 représentants de la communauté seraient élus par l’assemblée des parents! Le président du conseil serait élu par les membres du conseil.

L’assemblée des parents, avec le directeur général comme scrutateur, recevrait les profils des candidats aux postes de représentants de parents ainsi que les candidatures pour les postes de représentants de la communauté et devrait exprimer leur préférence par votation. Ces différentes candidatures seraient le produit d’un appel public.

Cette structure et cette démarche enfreignent plusieurs principes de bonne gouvernance et ne mèneront pas à des conseils légitimes et encore moins crédibles.

En effet, la crédibilité d’un conseil se mesure par le sentiment largement partagé parmi les membres de la direction et les parties prenantes que le conseil est composé de personnes intègres qui ont les connaissances et l’expertise pour composer avec les enjeux de l’organisation, prendre les décisions stratégiques et superviser la direction.

Il faut rappeler que le Centre typique de services scolaires comptera quelque 1 000 employés, un budget de quelque 250 millions $ ainsi qu’un vaste parc immobilier et une flottes d’autobus scolaires.

L’enjeu de la crédibilité des administrateurs du c.a. se décline en un certain nombre de questions :

  • Quelles sont les habiletés et compétences de base que devraient posséder tous les membres du conseil ?
  • Quel profil collectif d’expérience et de compétence devrait être assemblé au conseil ?
  • Quel engagement préalable doit être pris par un administrateur quant au temps qu’il devra consacrer à ses fonctions d’administrateur scolaire ?
  • Comment faire en sorte que le nouvel administrateur scolaire acquière une connaissance spécifique et raffinée des enjeux d’un centre de services scolaires, de sa dynamique pédagogique, sociale, culturelle et économique, etc.
  • Quel programme de formation et d’information doit-on mettre en place pour garder le conseil pertinent aux enjeux et aux spécificités de l’organisme ?

Nous proposons un certain nombre de changements pour corriger des lacunes évidentes du présent projet de loi à ce titre.

1. Il est louable que le gouvernement souhaite donner plus de pouvoirs aux parents; cela est accompli par leur forte présence au conseil des centres des services scolaires, par le fait qu’ils occupent six postes sur douze au conseil d’établissement et par leur exclusive responsabilité d’élire les représentants de la communauté qui siègeront au conseil! Toutefois, les représentants des parents ne peuvent être considérés comme des membres indépendants; en bonne gouvernance, ils ne peuvent constituer la quasi-majorité du conseil (surtout si le président du conseil au vote prépondérant est issu de ce groupe). Aussi, proposons-nous un conseil fait de six parents, de six représentants de la communauté (dont les payeurs de taxes) et quatre membres du personnel.

2. Le Ministre responsable devrait nommer un comité d’experts en gouvernance pour tamiser les candidatures provenant de la communauté afin de s’assurer de la présence de candidats et candidates correspondant à un profil de compétences établi pour le conseil. Dans la mesure où le nombre de candidatures retenues par cette démarche est supérieur au nombre de postes à combler, les candidatures retenues par le comité d’experts seraient soumises à un vote par l’assemblée des parents. Cette démarche ne vaut que pour la première composition des conseils. Par la suite, le comité de gouvernance devra assumer cette responsabilité.

3. C’est un principe incontesté de la gouvernance que le président ou la présidente du conseil porte une responsabilité particulière et joue un rôle essentiel pour le succès d’un organisme. Le président du conseil doit jouir d’une autorité claire et devenir l’interlocuteur du Ministre et du ministère pour toute question de gouvernance. La démarche décrite ci-avant faisant appel à un comité d’experts devrait également identifier des candidats/candidates pour le poste de président du conseil. Le Ministre devrait au départ nommer l’une de ces personnes « présidente du conseil » sans qu’elle ne détienne de vote prépondérant toutefois. Par la suite, le Ministre nommerait le président (ou présidente) du conseil sur recommandation du conseil.

4. Le secrétaire du centre des services scolaires ou un conseiller juridique externe, non pas le directeur général, devrait agir comme scrutateur lors d’élections.

5. Il est essentiel que soit conçu et dispensé à tous les membres des conseils un programme de formation de durée suffisante portant sur les aspects et enjeux particuliers du système scolaire québécois et sur les responsabilités, comportements et engagements associés au statut de membres de conseil d’administration.

Ces suggestions visent à relever de façon significative la légitimité et la crédibilité des conseils d’administration prévus dans le projet de loi 40. Espérons que nous serons entendus.