14 juillet 2007

La fin non souhaitée d’Alcan!

Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu | La Presse

Ce qui frappe lorsque l’on situe l’acquisition d’Alcan par Rio Tinto dans un contexte plus large que celui qui anime les amnésiques marchés financiers, c’est l’impuissance, réelle ou feinte, de toutes les parties opposées à cette prise de contrôle ou à tout le moins inquiètes de cette transaction.

Voyons qui ne souhaitait pas cette transaction :

  • La direction d’Alcan qui avoue qu’elle aurait souhaité un Alcan autonome, grand joueur international dans l’industrie de l’aluminium;
  • Les travailleurs d’Alcan, mi-inquiets, mi-rassurés par les propos de leurs nouveaux patrons;
  • Les gouvernements du Québec et du Canada. Le premier, attentif et un tantinet inquiet, cherche à protéger les engagements pris par Alcan en échange de généreux contrats d’énergie électrique, à s’assurer qu’un «vrai» siège social continuera d’agir de Montréal, etc.. Quant au gouvernement canadien, il est tiraillé entre son credo néolibéral et les risques politiques d’une trop grande bienveillance envers ces prises de contrôle par des firmes étrangères. Il a un droit de regard sur ces transactions et l’autorité de les interdire mais n’en fera rien.
  • Pour la population du Québec et du Canada, la prise de contrôle d’une entreprise comme Alcan, un pilier de l’industrie canadienne, est un événement non souhaité; simple filiale d’un immense groupe anglo-australien, Alcan ne sera jamais plus une entreprise phare du Canada. Malgré que les payeurs de taxe québécois aient contribué massivement aux profits d’Alcan par le biais de concessions hydro-électriques, malgré que ces concessions soient une des raisons importantes (sinon la plus importante) justifiant le prix offert par Rio Tinto aux actionnaires d’Alcan, la population et ses gouvernements n’ont aucune  influence sur la vente d’Alcan.

Si aucune de ces parties ne souhaitait cette transaction, qui alors la souhaitait-elle ?

  • Les actionnaires, bien sûr. Dès que l’entreprise fut mise en jeu par l’offre non souhaitée (dite «hostile») d’Alcoa le 7 mai dernier, le conseil d’administration d’Alcan n’avait d’autre choix que de jouer d’astuce pour extraire le meilleur prix possible pour l’entreprise. Ainsi sont faites les règles du jeu au Canada. Seuls les actionnaires ont droit de regard et toute autorité pour déterminer du sort d’une société comme Alcan. À tout le moins, dira-t-on, les actionnaires réaliseront de gros profits et pourront investir cet argent dans d’autres entreprises canadiennes. Ce scénario est émouvant de naïveté. Quand les chèques seront expédiés aux actionnaires d’Alcan, un grand pourcentage (de 40% à 50% probablement bien que le chiffre précis soit difficile à établir) porteront l’adresse de fonds de spéculation américains.
  • Les fidèles de la mondialisation, cette force bénéfique et irrésistible devant laquelle le citoyen doit s’agenouiller respectueusement et les gouvernements s’écarter prudemment. Or, l’histoire économique et financière nous enseigne que, souvent, ce qui semble irrésistible aujourd’hui devient risible demain. Les spécialistes en fusions et acquisitions s’amusent souvent (entre eux) du fait qu’une vague de fusion et acquisitions n’est que le prélude d’une vague de ventes pour déconsolider et simplifier les mêmes entreprises. Il en fut ainsi de l’irrésistible consolidation mondiale de l’industrie automobile maintenant que Daimler se départit de Chrysler, Ford de ses entités européennes. Il en fut ainsi de l’inévitable convergence des médias avec Vivendi, AOL-Time Warner, BCE et les autres, dont plusieurs morceaux achetés à fort prix ont été par la suite revendus souvent à perte. Toutefois, les entreprises soumises à ces opérations d’achat et de revente n’en sortent pas indemnes.

Conclusion :

La proposition de Rio Tinto d’acheter Alcan, bien qu’amicale et appuyée par le conseil d’administration d’Alcan, demeure néanmoins une transaction non souhaitée par la plupart des parties prenantes, sauf les actionnaires et beaucoup de ces actionnaires sont de nouveaux arrivants depuis le 7 mai 2007.

L’aspect étonnant de cette transaction, comme pour plusieurs autres au cours de la dernière année (Inco, Falconbridge, etc.), tient au constat d’impuissance généralisée des gouvernements ainsi que des conseils d’administration des sociétés concernées devant une intention de mainmise sur des entreprises canadiennes.

Ailleurs, même aux États-Unis, le conseil est souvent mieux équipé juridiquement pour décider de ce qui est dans le meilleur intérêt à long terme de l’entreprise et de ses parties prenantes.

Bien qu’il convienne d’évaluer avec soin toute proposition pour changer les règles du jeu, il nous semble que l’on devrait :

  • Donner au conseil l’autorité de recommander aux actionnaires de voter pour ou contre une proposition d’achat de l’entreprise;
  • Donner aux actionnaires le droit et l’obligation de voter sur une telle recommandation;
  • D’accorder aux actionnaires, lors de propositions d’achat de l’entreprise, un nombre de votes proportionnel à leur ancienneté comme actionnaire; par exemple, un actionnaire aurait cinq votes pour chaque action qu’il détient depuis plus de cinq ans; deux votes pour les actions détenues depuis plus de deux ans, un seul vote pour les actions détenues depuis au moins un an et aucun vote pour les actions détenues depuis moins d’un an.

Le gouvernement canadien vient d’annoncer la création d’un comité sur l’ensemble de ces enjeux devant faire rapport le 30 juin 2008. Souhaitons que la déferlante vague de prises de contrôle étrangères fasse en sorte qu’à l’été 2008 le rapport du comité ne soit pas dépassé par les évènements.