La bourse ou la vie!
Les enjeux d’une fusion entre les Bourses de Montréal et de Toronto
Yvan Allaire | La PresseAu terme d’une intermittente et tumultueuse négociation, les Bourses de Toronto et de Montréal en sont venues à un accord selon lequel la première achètera la deuxième. Étant donné la nature de ces organismes, en particulier leur responsabilité de supervision des marchés, la transaction doit recevoir l’aval de l’Autorité des marchés financiers du Québec.
Ce projet de transaction soulève au moins deux questions importantes :
1. La Bourse de Montréal aurait-elle un meilleur avenir en continuant d’exécuter de façon autonome sa stratégie de spécialiste des produits dérivés d’envergure internationale? La question est intéressante mais théorique. Il est vrai que la pratique stratégique comporte peu d’exemple de fusions réussies entre un généraliste (comme la Bourse de Toronto) et un spécialiste (comme la Bourse de Montréal). Les conditions de succès, les valeurs de gestion, le rythme d’innovation différents entre l’un et l’autre, font en sorte que le spécialiste y perd souvent les avantages stratégiques qui faisaient sa force.
Cette question est toutefois oiseuse puisque dans le contexte de nos marchés financiers lorsque les directions et les conseils d’administration s’entendent sur les termes d’une transaction, il ne reste plus aux actionnaires que d’encaisser la prime qui leur est offerte.
Même si des instances réglementaires avaient l’autorité pour bloquer une telle transaction, ce qui n’est pas le cas, il serait téméraire et nuisible d’agir ainsi lorsque la direction d’une entreprise souhaite vraiment réaliser cette transaction. En effet, une telle rebuffade mènerait à des départs de dirigeants, à une démotivation de la haute direction, à un flottement stratégique aux effets pernicieux.
Il est légitime toutefois de s’interroger sur les motifs pour lesquels les dirigeants et le conseil d’administration de la Bourse de Montréal trouvant attrayante et irrésistible une transaction à laquelle ils étaient farouchement opposés il y a quelques mois à peine.
La chute du titre de la Bourse de Montréal ( de quelque 42 $ en juin 2007 à moins de 30 $ à la mi-août 2007) a joué un rôle dans les calculs des différentes parties. La détermination affichée par la Bourse de Toronto de s’implanter en 2009 dans le marché des produits dérivés, même si cela devait se faire à perte fournit un excellent exemple d’engagement stratégique apparemment irrésistible. Ainsi, dans une partie à deux joueurs, le joueur ayant des ressources financières supérieures pouvant absorber les coûts d’uns stratégie d’attaque et infliger des dommages des dommages insupportables à l’autre, peut ainsi faire céder le joueur plus faible sans vraiment encourir les coûts appréhendés ; à la condition que cet engagement stratégique soit crédible. Or, le 14 août 2007, la Bourse de Toronto annonçait dans un premier temps une alliance ISE Ventures pour créer une bourse de produits dérivés (CDEX); puis le 15 août le lendemain, elle annonçait une entente avec Standard and Poors lui donnant les droits exclusifs, à compter de mars 2009, sur tous les produits dérivés reliés aux indices boursiers (S&p/TSX).
Ces produits représentaient en 2006, 8% du volume d’affaires de la Bourse de Montréal. Ces deux annonces ont dû provoquer une vive consternation à la direction de la Bourse de Montréal et une réévaluation de leur posture stratégique. Les négociations reparurent mais avec la Bourse de Toronto dans une position stratégique plus avantageuse.
2.La deuxième question porte sur les exigences que l’Autorité des marchés financiers du Québec devrait formuler comme condition préalable à son approbation de la transaction. Les propositions de la Bourse de Toronto qui sont annexées à son offre de «fusion», sont vagues, ambiguës et dans l’ensemble insatisfaisantes.
Il me semble que trois conditions précises devraient être imposées à cette transaction :
- La proposition se la Bourse de Toronto prévoit que 25 des administrateurs de cette société, advenant la fusion avec la Bourse de Montréal, seront des résidents du Québec. Cet engagement vaut pour trois ans. L’Autorité des marchés financiers (AMF) devrait exiger qu’elle donne son approbation quant aux personnes choisies pour satisfaire à cette exigence. Cette suggestion n’est pas inédite. La fusion de la Bourse de New-York et de la bourse européenne, Euronext, a été assujettie à une condition similaire ! Les nominations au conseil de supervision devraient recevoir l’approbation du ministère des finances de Hollande ainsi que d’un comité de toutes les agences de réglementation concernées.
- Le groupe TSX doit prendre un engagement formel à l’effet que toutes les activités, initiatives et développements au Canada ou ailleurs en matière de produits dérivés seront sous la responsabilité de la Bourse de Montréal et dirigés de Montréal`cet engagement comporte, entre autres, l’obligation de résilier l’entente conclue le 14 août pour la création du CDEX à Toronto, ainsi que l’entente avec Standard and Poors portant sur les produits dérivés sur indices boursiers.
- Enfin, selon les termes régissant la Bourse de Toronto, comme c’est le cas pour la Bourse de Montréal, aucun actionnaire ne peut acquérir plus de 10 % des actions sans une autorisation de la commission de valeurs mobilières concernée ; l’AMF devrait exiger que suite à l’intégration de la Bourse de Montréal dans le groupe TSX, aucun actionnaire ne puisse acquérir plus de 10 % des actions du groupe TSX sans l’autorisation préalable de la Commission de valeurs mobilières de l’Ontario et de l’Autorité des marchés financiers du Québec.