22 juillet 2006

Kenneth Lay, R.I.P.

Yvan Allaire | Les Affaires

L’homme rêvait de terminer sa carrière comme secrétaire au Trésor (le ministre des Finances aux États-Unis) dans l’administration de son bon ami George W. Bush. Sa carrière de dirigeant d’entreprise se terminerait en janvier 2001, au moment où le nouveau président arriverait à la Maison Blanche.

Riche, encensé par les médias, mécène, bienfaiteur, connecté au grand monde de la politique et des arts, Lay s’était préparé pour le dernier acte de sa carrière à Washington.

Il avait fait d’Enron une entreprise admirée par son audace et son sens de l’innovation. En fait, la contribution de Lay fut de laisser toute latitude, toute marge de manœuvre, à de «brillants» jeunes hommes comme Skilling et Fastow. Skilling, le président et chef de l’exploitation de 1997 à 2001 (alors qu’il devint chef de la direction), avait une «vision» complexe, audacieuse, ultimement hasardeuse, du développement de l’entreprise. Pour la réaliser, il avait besoin du concours d’un «ingénieur» en montages financiers, le chef de la direction financière Andrew Fastow.

Tout absorbé par son agenda personnel et par une vie sociale très chargée, Lay suivait distraitement les agissements de Skilling et compagnie dont il ne comprenait pas toujours les tenants et aboutissants. De toute façon, les initiatives de Skilling et Fastow avaient reçu l’aval d’une firme réputée d’avocats, de la grande société de vérificateurs comptables Arthur Andersen, ainsi que du chef comptable et du gestionnaire en chef de risques chez Enron. Toutes les transactions avaient été soumises à l’examen des comités de vérification et des finances du conseil.

En janvier 2001, les garde-fous étaient en place, croyait-il, le titre de la société flottait en stratosphère, les analystes chantaient les louanges de la direction et Lay se  préparait à passer la main à Skilling.

Après quelques mois, Skilling vit que l’édifice de montages financiers qu’il avait construit avec Fastow était chancelant et risquait de s’écrouler au moindre choc. Il informa Lay le vendredi 13 juillet 2001 qu’il allait démissionner pour «raisons personnelles», ce qu’il fit officiellement le 14 août 2001.

Ce jour-là, fatidique, Lay assuma, derechef, les fonctions de président et chef de la direction en plus de celles de président du conseil.

Mal informé sur l’état véritable des finances de l’entreprise, il se fit rassurant. Il ne pouvait agir comme l’aurait fait un nouveau PDG : tout peindre en noir, mettre toutes les fautes sur l’ancienne direction (après tout, il était le PDG de Enron six mois plus tôt), prendre les charges maximales et compter sur la période de grâce dont jouit un nouveau PDG auprès des analystes et des agences de notation de crédit.

Puis, il continua d’afficher un optimisme de bon aloi malgré l’information alarmante qu’on lui communiquait. Il a tenu des propos en porte-à-faux avec les rapports internes dont il avait maintenant connaissance. Il participa à différentes manœuvres douteuses visant à gagner du temps. Il croyait gérer une crise. Il allait vers sa perte.

Toutes les accusations portées contre lui et pour lesquelles un jury l’a déclaré coupable ont trait à cette période allant du 14 août 2001 au 2 décembre 2001, jour de la faillite d’Enron.

Le calvaire de l’homme débuta ce jour-là. Déchu, ruiné, abandonné par ses amis influents, il vécut cinq années d’angoisse et d’anxiété, au terme desquelles son cœur flancha. Ultime gifle, son bon « ami », George W. Bush, chargea un porte-parole d’informer le public que beaucoup de « connaissances » du Président étaient morts depuis qu’il avait assumé la présidence sans qu’il ne fasse de commentaires. Donc, le Président ne ferait aucun commentaire à propos de la mort de Kenneth Lay.

Lay fut coupable d’actes illégaux commis au cours de ces trois mois de l’automne 2001. Il a aussi paru s’enrichir par la vente d’options pendant que le navire sombrait, bien que les procureurs du département de la Justice n’aient porté aucune accusation de cette nature contre lui.

Il fut certainement coupable d’une confiance téméraire envers ces jeunes hommes à qui il confia le destin de l’entreprise dont il était le premier dirigeant. Il en a payé le prix. Son nom et celui d’Enron seront conspués pour toujours.