9 février 2004

Hommage à un homme libre

Yvan Allaire | La Presse

J’ai rencontré Claude Ryan pour la première fois en 1974 à son bureau, chez lui, boulevard Saint-Joseph. Le décor était celui d’un intellectuel frugal. L’homme était érudit, sagace, judicieux; mais ce qui me surprit, fut son rire, fréquent, franc et joyeux, avec une note espiègle. Le rire de l’homme ne prend-il pas la mesure de son âme? J’allais bien connaître M. Ryan au cours des années qui suivirent.

Il était de ces personnes qu’on ne peut amadouer, ni effrayer, ni soudoyer. Il vint à la politique par devoir, bien déterminé de pratiquer ce nouveau métier à sa façon et selon ses valeurs. Cela ne lui valut pas toujours la faveur des foules, mais assurément le respect de tous. « La politique, c’est l’art d’expliquer simplement des choses complexes sans faire une entorse à la vérité », me dit-il un jour.

Il était fier, à juste titre, d’avoir contribué à relever le niveau du débat politique au Québec, d’avoir suscité l’engagement politique d’une nouvelle génération. Il a légué à son parti une philosophie et des valeurs authentiquement libérales.

Sa conception du Québec et du Canada, son attachement à l’un et l’autre, ont trouvé leur expression dans un programme constitutionnel nuancé mais audacieux (le « livre beige »). Ce document garde encore sa pertinence et pourrait s’avérer prophétique.

Le leitmotiv de sa vie publique fut sans doute l’équilibre à maintenir entre les libertés individuelles et la justice sociale. Cette quête, noble et jamais achevée, était, pour Claude Ryan, le trait dominant d’un esprit libéral. Dans son document de l’automne 2002 « les Valeurs libérales et le Québec moderne », il écrit : « Une société où l’accent serait mis exclusivement sur l’exaltation des valeurs individuelles deviendrait vite une société égoïste. Tôt ou tard, elle serait livrée à la domination de ses membres les plus forts, au détriment de ses membres les plus faibles. »

Il aurait pu citer Lacordaire qui a écrit : « Entre le riche et le pauvre, entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Nous avions discuté de l’attrait et du péril de cette formulation. Un esprit libéral, disait-il, doit chercher à résoudre ce paradoxe, à trancher le nœud gordien.

C’est pourquoi le plus bel hommage qu’il pouvait rendre à une personne était de dire d’elle que c’était un esprit libéral.

Lorsque son épouse, Madeleine, mourut à la suite d’une longue maladie, il me dit à quel point son courage et sa foi l’avaient soutenue. « Elle m’a appris à ne plus craindre la mort ».

Claude Ryan, un esprit libéral, un homme de devoir, un homme de foi, n’est plus. Faisant mentir le cynique adage, il est la preuve qu’un homme peut être grand et bon.