18 janvier 2024

Gildan – L’éléphant dans l’usine de t-shirts

Philippe Mercure | La Presse

Ceux qui suivent la saga entourant l’entreprise québécoise Gildan profitent actuellement d’un divertissement de haut calibre. L’intrigue, vraiment, n’a rien à envier à l’excellente série télé Succession.

Si vous avez raté des épisodes, voici un rattrapage rapide. Le 10 décembre, le conseil d’administration de Gildan a congédié celui qui dirigeait l’entreprise depuis deux décennies, Glenn Chamandy. On lui reproche en vrac de s’accrocher au pouvoir sans préparer sa succession, de passer trop de temps à bâtir son complexe de golf à la Barbade et de planifier de coûteuses acquisitions hors du domaine du fabricant de vêtements.

Plusieurs importants actionnaires, dont la firme d’investissement américaine Browning West, la québécoise Jarislowsky Fraser et la torontoise Turtle Creek, soutiennent toutefois le président déchu et tentent maintenant d’éjecter les membres du conseil d’administration. Qui gagnera ce bras de fer ? À suivre.

Si je m’intéresse au spectacle, ce n’est pas pour le malin plaisir d’en suivre les rebondissements (bon, OK, peut-être un peu). C’est surtout que parmi toutes les récriminations qui émergent au sujet de la gestion de cette entreprise, la plus grave à mes yeux est commodément passée sous silence.

Il y a en effet un éléphant chez Gildan et tout le monde se chicane autour en faisant semblant de ne pas le voir.

Cet éléphant, c’est que le fabricant de vêtements se moque du Québec et du Canada depuis des années en ne payant pas sa juste part d’impôts.

En 2022, la fiscaliste Brigitte Alepin a calculé que l’entreprise n’avait payé que 3 % d’impôts en 10 ans, sur des bénéfices totalisant près de 3 milliards de dollars. En comparant avec mes propres relevés d’impôt, j’ai la moutarde qui me monte au nez. Je devine que c’est la même chose pour vous.

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Le conseil d’administration, qui multiplie les reproches envers le patron Glenn Chamandy, ne pouvait pas vraiment soulever ce point publiquement. Michel Magnan, expert en gouvernance à l’Université Concordia, me rappelle que dans son rôle de surveillance, ce conseil a cautionné les pratiques fiscales de Gildan et s’en trouve en partie responsable.

Ça ne veut pas dire qu’en coulisses, l’acharnement de Glenn Chamandy à éviter le fisc n’a pas contribué au désaveu du conseil d’administration.

« Je suis persuadé qu’en tant qu’administrateurs indépendants, ils se sont posé ces questions au moment de prendre les décisions des dernières semaines », me dit François Dauphin, président de l’Institut sur la gouvernance.

Le comportement des actionnaires qui se rangent sans réserve derrière Glenn Chamandy me semble plus problématique.

En 2022, un important actionnaire a pourtant largué Gildan à cause de ses pratiques fiscales douteuses : la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui détenait plus tôt cette année-là pour un demi-milliard de dollars d’actions de l’entreprise québécoise. C’est tout à son honneur et c’est un indicateur de l’ampleur des problèmes qui règnent dans l’entreprise.

La Caisse n’est pas du genre à claquer des portes pour rien. Quand elle constate des travers au sein des sociétés dans lesquelles elle investit, elle utilise son influence pour tenter de provoquer des changements à l’interne. Pour qu’elle quitte Gildan, il fallait qu’elle n’entretienne aucun espoir de voir des améliorations.

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François Dauphin, de l’Institut sur la gouvernance, me souligne une dimension troublante. C’est que malgré ses pratiques fiscales contestables bien connues, Gildan est loin de faire figure de cancre dans les principaux classements ESG. La firme Refinitiv lui donne une note de 85 sur 100. MSCI lui accorde la cote AA, la qualifiant de « leader ».

Le seul classement réellement critique est celui de l’Institutional Shareholder Services (ISS), qui accorde un C+ à Gildan.

Dans ce contexte, il est facile pour les firmes de placement de se cacher derrière les bonnes notes de Gildan pour dire à ceux qui leur confient leur argent qu’ils font des investissements responsables.

« Probablement que les caractéristiques fiscales ne comptent pas beaucoup dans ces classements. Ça pose en tout cas des questions sur les enjeux de mesure », commente François Dauphin.

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