18 juin 2018

Des conseils d’administration indépendants, mais aussi crédibles

Yvan Allaire | Le Devoir

Les conseils d’administration des organisations, qu’elles soient cotées en Bourse, sociétés d’État, centres hospitaliers, universités ou autres organismes publics, sont maintenant constitués d’une majorité de membres indépendants. Cette norme de « bonne » gouvernance, rigoureusement observée, a certes contribué à un certain assainissement de la gouvernance des sociétés mais ne s’est pas avérée la panacée escomptée par certains.

Les fiascos financiers, en particulier la crise financière de 2008, ainsi que les incuries administratives dans les secteurs publics ont secoué la belle assurance que, gouvernées par des membres de conseil « indépendants », les sociétés seraient à l’abri de surprises désagréables.

Les agences de règlementation et tous les observateurs de la gouvernance durent admettre que l’indépendance des membres du conseil et leur expérience de gestion dans des secteurs d’activité sans similarité avec l’organisme à gouverner étaient des facteurs nettement insuffisants pour assurer une gouvernance efficace. Les membres des conseils doivent également posséder des compétences et une expérience à la mesure des enjeux et des défis précis de la société qu’ils sont appelés à gouverner. Ils doivent également être perçus comme intègres et dignes de confiance par les parties prenantes de la société. C’est ce qu’on entend par la crédibilité du conseil.

Un conseil d’administration n’est crédible que dans la mesure où une grande partie de ses membres peuvent soutenir un échange avec la direction sur des aspects de la performance et sur les multiples facteurs qui exercent une influence dynamique sur cette performance. Ce type de questionnement suppose, de la part du conseil, une fine et systémique compréhension de l’organisation.

À notre époque, les membres du conseil ne peuvent devenir ni demeurer crédibles s’ils ne maîtrisent pas l’immense réservoir d’informations qu’offre Internet afin de se doter de sources indépendantes de renseignements.

Plus un organisme est complexe, plus il est difficile pour un administrateur d’être crédible, comme cela fut démontré dans le secteur financier au cours des années menant à la crise de 2008.

Le processus actuel de sélection

L’approche conventionnelle en matière de sélection de membres pour le conseil consiste à établir un catalogue des expertises professionnelles que l’on souhaite rassembler au conseil. La recherche de candidats et candidates inclut habituellement l’identification d’un certain nombre de cadres supérieurs (à la retraite ou toujours en poste) de diverses autres sociétés. Cette démarche de sélection risque de ne pas aboutir à un conseil crédible. La grande faiblesse de ce processus provient d’une présomption non fondée à l’effet qu’une expérience de gestion dans des secteurs sans similarité avec celui de l’organisme à gouverner reste utile et valable pour le conseil.

La recherche de nouveaux candidats pour le conseil devrait débuter plutôt par l’identification de secteurs d’activité proches de celui dans lequel œuvre la société en termes de ses enjeux, de ses critères de succès, son horizon temporel de gestion, la nature et l’importance de ses parties prenantes, son mode financier.

Des cadres et dirigeants ayant acquis leur expérience dans de tels secteurs d’activité pourront plus rapidement et facilement maîtriser les aspects essentiels d’un organisme œuvrant dans un secteur « semblable » tout en demeurant « indépendants ». Cette façon de procéder permet de concilier l’« indépendance » imposée par la règlementation et l’importante quête de « crédibilité ».

Cette démarche vaut également dans le cas où un conseil cherche à se doter d’un nouveau membre ayant, par exemple, une expertise financière. Les critères de sélection devraient préciser que cette expertise financière doit avoir été acquise dans un secteur affichant des caractéristiques semblables (telles que définies ci‑dessus) à celles de la société en question. Une expérience en matière de gestion financière ou de ressources humaines ou de gestion des risques ou de technologie de l’information acquise par exemple dans une entreprise de commerce au détail risque d’être peu pertinente pour une société minière, une institution académique ou une entreprise du secteur aéronautique.

Si, au moment de se joindre au conseil, des nouveaux membres ne peuvent se réclamer d’une haute crédibilité dans le secteur, il est important qu’ils puissent investir le temps nécessaire, qu’ils possèdent la formation nécessaire et la rigueur intellectuelle requise pour acquérir dans des délais raisonnables un bon niveau de crédibilité… et le maintenir. La société doit concevoir un programme approprié de formation à cette fin précise.

Renouvellement du conseil

 La quête d’un conseil diversifié et « renouvelé» a fait émerger des politiques visant à imposer aux membres de conseils un âge limite (de 70, de 72 ou de 75 ans) ou une durée maximale de mandat de 15 ans, ou les deux.

Les politiques de la sorte ne sont pas optimales, bien qu’elles soient de toute évidence beaucoup plus faciles à mettre en œuvre, et suscite moins d’animosité, que le fait de demander à un membre sa démission par suite de l’évaluation de sa crédibilité. Si le président du conseil et le comité de gouvernance souhaitent sincèrement rehausser la crédibilité du conseil, ils doivent évaluer les membres en fonction de leur niveau de connaissance de la société qu’ils ont la responsabilité de gouverner. C’est beaucoup demander, mais il s’agit là d’une mesure nécessaire pour produire des conseils d’administration qui sont davantage crédibles et capables de créer de la valeur pour toutes les parties prenantes de la société.

Conclusion

La crédibilité d’un conseil est la pierre d’assise (et peut‑être la pierre philosophale longuement recherchée!) de la gouvernance efficace. Aussi, la sélection, la formation et la rétention de membres crédibles sont devenus l’enjeu dominant et le défi incontournable de la gouvernance au 21ième siècle.