17 septembre 2007

Chiffrer la valeur d’Hydro!

Yvan Allaire | Les Affaires

Intrigué par la valeur financière mirobolante que certains accordaient (hypothétiquement) à Hydro-Québec, je signais un texte dans Les Affaires du 3 août 2007 dans lequel je tentais d’estimer quelles seraient les sommes que le gouvernement du Québec pourrait tirer de la privatisation d’Hydro-Québec. Je concluais que celles-ci seraient importantes mais bien inférieures au montant avancé par certains pour qui, après une augmentation des tarifs de quelque 7 milliards $, la privatisation d’Hydro-Québec permettrait de rembourser  toute la dette du Québec, soit quelque 122 milliards $.

M. Garcia signe un texte dans Les Affaires du 24 août 2007 dans lequel il soutient derechef cette évaluation. Or, on apprend dans ce texte que l’augmentation massive de 7 milliards $ des tarifs (ce qui représente plus de 60% des revenus totaux actuels d’Hydro-Québec) devrait s’étaler sur plusieurs années. Donc, selon ce scénario, la privatisation d’Hydro-Québec ne devrait survenir qu’au terme de cette opération, incertaine et politiquement périlleuse, qui consisterait, bon an, mal an, à augmenter de façon massive les tarifs d’électricité.

Puis, présumant que l’opération soit réussie éventuellement et que les bénéfices nets (avant impôt) d’Hydro soient maintenant gonflés de 7 milliards $, on se tourne vers les marchés financiers pour leur offrir d’acheter Hydro-Québec. Étant donné l’envergure des montants en jeu (soit quelque 122 milliards $), il faudrait faire appel à de nombreux fonds institutionnels étrangers pour écouler les actions d’Hydro-Québec.

Ces investisseurs (étrangers pour la grande majorité) comprendraient facilement que dorénavant toute nouvelle demande d’augmentation des tarifs serait revue, autorisée ou rejetée par la Régie des services publics du Québec. Celle-ci devrait peser dans sa balance les intérêts des citoyens du Québec et ceux des investisseurs étrangers, les nouveaux propriétaires d’Hydro-Québec. À moins bien sûr que les défenseurs de cette thèse ne proposent également la disparition de cette Régie et son remplacement par un marché « libre » et concurrentiel pour l’énergie électrique!

Rappelons toutefois que quelque 30% des revenus de ventes d’électricité d’Hydro-Québec proviennent du secteur industriel (dont les tarifs sont souvent fixes et établis par contrat à long terme), 22% proviennent du secteur général et institutionnel (gouvernements, hôpitaux, écoles, etc.), 36% des utilisateurs domestiques et agricoles et 11% des exportations. Qui porterait donc en très grande partie le fardeau de cette augmentation des tarifs?  Les ménages québécois et le secteur public.

M. Garcia croit qu’une augmentation annuelle de 9% des bénéfices demeure plausible et cela, même après une augmentation massive de 7 milliards $ des tarifs d’électricité. Pour les raisons invoquées dans mon texte précédent, il est improbable que les investisseurs éventuels souscrivent à cette vision des choses.

Enfin, M. Garcia maintient que sa méthode d’évaluation fondée sur un multiple du bénéfice net en vaut bien une autre. Le hic, c’est que cette méthode ne prend pas en compte le niveau variable d’endettement d’une entreprise à l’autre, une donnée à laquelle le multiple cours/bénéfice est sensible. En procédant ainsi, on risque de mêler les proverbiales pommes et poires, si les niveaux d’endettement des entreprises témoins sont très différents.

Selon la méthode d’évaluation que j’ai utilisé, l’avoir de l’actionnaire d’Hydro-Québec aurait une valeur marchande de quelque 40 milliards $ sans augmentation exceptionnelle des tarifs d’électricité. Après une augmentation des tarifs et donc des bénéfices de 7 milliards $, si une telle démarche s’avérait réalisable, cette valeur pourrait atteindre à la limite quelque 76 milliards $. Énormes sommes, mais encore loin des 122 milliards $ que fait la dette totale du Québec.

D’autres méthodes d’évaluation sont appropriées mais dans tous les cas, il faut tenir compte du niveau d’endettement des entreprises ainsi que des perspectives de croissance du bénéfice propres à une entreprise donnée.