Rona, le test d’un système financier périmé
Yvan Allaire | Lesaffaires.comVoici donc que la société américaine Lowe’s, en quête de croissance au Canada pour rejoindre sa sempiternelle rivale, la société Home Depot, fait une offre d’achat non sollicitée pour acquérir RONA.
Le ministre des finances du Québec a rapidement réagi à cette nouvelle, affirmant que « Cette transaction n’apparaît pas être dans l’intérêt du Québec ni du Canada ». La Caisse de dépôt a fort judicieusement augmenté sa participation au capital de Rona.
Le gouvernement du Québec a mandaté Investissement Québec pour chercher les moyens de faire avorter cette tentative de prise de contrôle. C’est plutôt à l’Autorité des marchés financiers que l’on devrait s’adresser.
Rappelons que Rona, naguère société à propriété coopérative des marchands réunis sous cette bannière, a fait le choix de devenir une société cotée en Bourse selon le modèle le plus orthodoxe, chéri des banques d’affaires et des investisseurs de court terme : une action un vote, sans actionnaire de contrôle, donc vulnérable à la convoitise, soumis aux dispositions des commissions des valeurs mobilières canadiennes en matière de prise de contrôle non souhaité.
Or, au Canada, ces commissions se sont montrées plus favorables aux prises de contrôle que ce n’est le cas aux États-Unis, par exemple. Pourtant, la loi canadienne (et québécoise) stipule, et la Cour suprême du Canada a clairement énoncé dans deux jugements importants, que le conseil d’administration doit prendre des décisions qui sont dans l’intérêt de la société, et non l’une quelconque de ses parties prenantes, pas même les actionnaires. La logique voudrait que le conseil d’administration d’une société canadienne puisse évaluer une proposition d’achat à la lumière des intérêts de la société et de toutes ses parties prenantes et la refuser si telle est son appréciation. Or, il n’en va pas ainsi.
Alors qu’aux États-Unis, le conseil peut doter l’entreprise de « dragées toxiques » (poison pills) de durée illimitée, rendant impossible toute prise de contrôle non approuvée par le conseil, alors que plusieurs États américains ont adopté des lois permettant aux conseils d’administration de prendre en compte les multiples parties prenantes et de refuser une offre sans même la soumettre aux actionnaires, au Canada, dès qu’une offre d’achat est formulée, le conseil devient presque un agent de négociation pour arracher le meilleur prix.
Toute « dragée toxique » adoptée au Canada, selon les commissions des valeurs mobilières, ne peut s’étendre au-delà de 60 jours, le temps pour le conseil de chercher un acheteur plus généreux ou une offre plus alléchante. L’offre doit être soumise aux actionnaires, avec la recommandation du conseil d’accepter ou de rejeter l’offre; mais les actionnaires décident. Rappelons qu’au moment de voter sur une telle offre, 40% à 50% des actionnaires seront des fonds d’arbitrage et de couverture devenus actionnaires dans les heures et les jours suivant l’offre publique d’achat.
Ce système n’a pas de sens.
Fort heureusement que plusieurs sociétés québécoises (et canadiennes) ont adopté une structure de capital à double classe d’actions donnant le contrôle de la société à un actionnaire ou à un groupe d’actionnaires reliés. Alors, il devient impossible pour quiconque de mener une opération « hostile » pour acquérir ces sociétés. Nul besoin pour les gouvernements d’intervenir. Mais, pour des raisons que j’ignore, Rona a choisi le modèle orthodoxe.
Une autre façon de contrarier ces tentatives de prise de contrôle non souhaité serait d’adopter la proposition de l’IGOPP de permettre aux entreprises cotées en bourse d’exiger que leurs actions soient détenues pendant une année avant d’acquérir le droit de vote. Dans les sociétés civiles, les touristes ne votent pas et les nouveaux arrivants doivent attendre quelques années avant d’acquérir le droit de vote. Pourquoi les actionnaires-touristes et les actionnaires fraîchement débarqués auraient-ils le droit d’influencer le destin d’une société commerciale?
Notons que, selon cette proposition, les actionnaires de durée décideraient du sort de l’entreprise dans ces situations de tentative de prise de contrôle. Par exemple, la Caisse de dépôt, qui détenait 12,18% des actions de Rona (avant son achat d’actions additionnelles annoncé le 30 juillet), pourrait facilement représenter quelque 30% des votes en présumant qu’elle détient ses actions depuis plus d’un an.
Puisque ni l’une ni l’autre de ces mesures ne sont en place, que reste-t-il comme options pour bloquer cette transaction.
Bien sûr, des pressions politiques seront exercées; évidemment, les institutions financières paragouvernementales seront mises à contribution. Le gouvernement fédéral pourrait bloquer cette acquisition, jugeant qu’elle n’est pas dans l’intérêt du Canada, mais j’en doute fort.
Le dénouement de cet imbroglio passe par l’Autorité des marchés financiers. Celle-ci doit saisir l’occasion pour aligner ses directives sur la loi québécoise et canadienne ainsi que sur les jugements de la Cour suprême. Il est temps de redonner aux conseils d’administration le droit et l’autorité de « dire non » à une telle tentative d’achat. Le conseil d’administration, ayant pris en considération les intérêts de la société et de toutes ses parties prenantes (fournisseurs, marchands affiliés, employés, actionnaires) décide. Bien sûr, cette décision peut faire l’objet de contestation judiciaire.
(Les propos de M. Allaire n’engagent pas l’IGOPP ni son conseil d’administration).